mardi 2 juin 2009

Féria et corrida

Avant de commencer à lire, une petite musique de fond s’impose…
http://www.deezer.com/track/1348102

Si vous aviez été à la féria de Nîmes, ce week end, vous auriez pu m’y croiser (ou pas). L’événement a la même dénomination que les beuveries de Bayonne (ce qui me semble être un titre plus proche de la réalité pour ces festivités du sud-ouest) mais les férias de Nîmes sont des fêtes beaucoup plus traditionnelles.

Nîmes n’est pas la ville française la plus proche de l’Espagne. Cependant, la « cité au crocodile » possède une tradition hispanique forte (ainsi que camargaise, romaine, provençale…). Aujourd’hui, une des traces de cette identité repose sur la corrida. Il s’agit d’un spectacle où l’homme défie le taureau et l’affronte dans un combat à mort (en bons professionnels, les matadors gagnent souvent le duel). Chaque année, deux férias sont organisées à Nîmes, une au début de l’été et l’autre en septembre, pour les vendanges. La corrida a une position centrale et de nombreux éléments liés à elle se répandent dans la ville. Nombreuses sont les bandas dans les rues. Ce sont des sortes de groupes musicaux typiques dont les airs sont directement issus de ceux joués par la troupe qui accompagne musicalement le torero dans l’arène. On trouve aussi un peu partout des danseurs et danseuses de sévillane et de flamenco. Ça et là, des clins d’œil aux taureaux, aux banderilles, à l’habit si particulier des toreros. Tiens, en parlant de ça, vous l’avez vu, ce costume ? Tous les toreros ont une posture cambrée tout à fait exagérée car ces hommes ont un égo plus développé que celui de Miss Royal et Mister Sarko réuni ! Mais, au-delà de la posture, regardez le pantalon : ça leur moule les fesses, c’est totalement indécent !!! Heureusement, les toreros n’ont pas souvent un joli visage, il y a une justice sur terre… Enfin, la féria est un moment de réjouissances et les rues se couvrent de monde le soir venu, badauds allant déguster une gardianne de taureaux faite avec les morceaux des bêtes tombées dans l’arène (il s’agit d’une daube, c’est excellent) ou, plus nombreux, des milliers de gens s’offrant mutuellement pastis, bière, sangria ou autre. Contrairement aux fêtes de Bayonne, les soirées nîmoises sont plutôt bon enfant et très peu de gens se retrouvent aux urgences (même si quelques rixes sont inévitables et qu’on n’est jamais à l’abri d’un con fin bourré). De mémoire, l’année dernière, il y a eu une dizaine de personnes blessées sur plusieurs millions de visiteurs…

Je dois maintenant vous parler de la corrida elle-même. La corrida fait parti des débats « pour ou contre ». Les arguments des gens anti-corrida sont souvent les mêmes et sont assez connus : traitement inhumain et cruel, l’animal souffre... Ajoutez à cela les codifications de la corrida qui peuvent parfois sembler barbare (il est vrai que récompenser le matador en lui offrant les oreilles et la queue fraichement découpées sur la bête vaincue peut choquer la sensibilité des plus sensibles). Il me faut vous expliquer un peu plus la corrida afin de vous débarrasser des idées fausses sur le sujet.

Tout d’abord, le déroulement de la corrida (et on change de musique :
http://www.deezer.com/track/1866144).
Normalement, chaque corrida présente trois toreros qui passeront deux fois chacun. A raison de 20 minutes par taureau, le spectacle dure donc plus de deux heures. Celui-ci est présidé par trois « juges » qui composent la présidence. C’est elle qui décidera à la fin de chaque représentation si le matador mérite récompense (les fameuses oreilles et la queue). En fait, le public dispose d’une oreille : si le spectacle lui a plu, il peut, à la fin, agiter un foulard blanc pour le signaler et la présidence doit alors céder une oreille au torero. L’autre oreille et la queue (pour les présentations particulièrement extraordinaires et donc particulièrement rares) sont à sa disposition (même si le public met souvent la pression sur elle pour qu’elle cède la deuxième oreille quand la première est tombée).

La corrida est extrêmement codifiée et je ne connais pas toutes les subtilités du combat mais je peux donner quelques informations sur les différentes étapes. La première, c’est l’arrivée du taureau dans l’arène. Celui-ci a été présentée par un panneau qui indique notamment son poids et son éleveur (qui met sa réputation en jeu par les bêtes qu’il propose). Le taureau doit être combatif, aux cornes parfaites et intactes, en lyre, symétriques. Si le taureau montre des signes de faiblesse, de combativité, de défaut sur les cornes ou tout autre problème lié à sa vaillance, il peut être renvoyé en coulisse : on veut un taureau à la hauteur de son adversaire ! Ainsi, vous pouvez constater que le taureau est choisi notamment sur ses capacités de combat et donc il lui est donné des chances de s’en sortir !

Deuxième étape : les picadors entrent en scène. Les picadors sont des hommes à cheval avec une longue lance. Le taureau doit charger le cheval qui est très protégé sur un flanc et dont les yeux sont bandés. Pendant que le taureau donne des coups de corne dans la protection du cheval, le cavalier plante sa lance dans la nuque de la bête. L’objectif est de couper un tendon pour que le taureau ne puisse plus relever la tête et encorner le torero. Si c’était le cas, ce dernier n’aurait aucune chance. Quand au cheval, il y a un risque qu’il se fasse encorné sur son flanc non protégé mais il arrive aussi que le taureau, en donnant des coups de corne, fasse décoller protection et cheval à la fois. Ces événements sont cependant très rares. Je glisse au passage que les toreros sont vraiment très attachés à leurs montures, l’union entre les deux êtres est énorme. La corrida équestre où le torero est toujours à dos de cheval et va toréer le taureau en utilisant sa propre monture comme cape en est la preuve ultime : la complicité totale entre l’homme et le cheval permet de défaire le taureau.

Troisième étape : les « hommes de main » du torero, les péons, vont planter les banderilles. Le torero peut décider de le faire lui-même : il a le contrôle total de son équipe et de la gestion de la corrida. La passe est très codifiée et la règle principale est la suivante : l’homme doit s’approcher du taureau de face et, lorsque le taureau le charge, sauter pour lui planter les banderilles (bâtons décorés avec un crochet au bout) sur le dos. Les banderilles doivent être accrochées alors que l’homme est littéralement dans les cornes de la bête !!! Je n’arrive pas à comprendre d’un point de vue objectif comment l’homme arrive à se sortir des cornes mais force est de constater qu’il y arrive. Le danger est toutefois énorme et le mouvement remarquablement esthétique. Pour les âmes sensibles, sachez que les banderilles sont plantées dans une zone très peu innervée du taureau, ce qui limite la douleur mais énerve l’animal… Cette étape est donc remarquablement belle et le taureau est à armes égales avec l’homme qui l’approche.

Quatrième étape : le torero fait son entrée avec une cape. On dit que les taureaux n’aiment pas le rouge mais c’est le mouvement qui leur déplait. La cape est donc régulièrement rose et jaune… L’objectif du torero est de présenter la cape au taureau pour qu’il la charge et qu’il la suive. Une belle passe consiste à avoir la tête du taureau dans la cape, donc dans la main droite, et de toucher sa croupe avec la main gauche. L’appréciation repose en général sur la capacité du torero à tromper le taureau tout en le laissant s’approcher le plus de lui. Le danger est grand mais la satisfaction du contrôle sur la bête d’autant plus appréciable. Si la tension est importante, la présidence peut demander à la fanfare de l’arène de commencer à jouer sa musique. Le moment devient alors magique et, si la chose est bien faite, il est difficile de ne pas broyer le bras de son voisin par nervosité.

Cinquième et dernière étape : la mise à mort. On appelle alors matadors le torero qui va porter l’estocade. Étonnamment, tout le monde peut sentir que le taureau accepte la mort et le duel final, en one shot. Taureau et matadors se font face. Le matador tient une épée et une cape rouge dans une position caractéristique. C’est lui qui, en bougeant d’un geste sec la cape, déclenche la charge du taureau. Au moment où il arrive sur l’homme, celui-ci bondit en avant et plante l’épée dans l’échine de la bête. En effet, il y a là un trou de la taille d’une pièce de deux euros qui permet d’atteindre les organes vitaux. Une belle mise à mort consiste donc à enfoncer l’épée jusqu’à la garde dans cet orifice… Pour accélérer le processus et abréger les souffrances de l’animal, l’épée est ensuite retirée et des capes sont éventuellement agitées devant lui pour le faire bouger. Il arrive que le matador se place face au taureau mourant et le remercie. Il est clair dans la tête du torero que ce qu’il a, il le doit à son ennemis. D’ailleurs, on y songe peu mais les gens de la corrida sont tous des gens qui aiment et respectent profondément les taureaux. Bref, l’animal tombe sur ses genoux avant puis s’allonge sur le flanc. Pour arrêter l’agonie de manière certaine, un péon va planter un petit couteau dans la nuque de la bête, juste derrière le niveau des cornes. La mort est alors subite et définitive.

Le taureau est trainé par un attelage hors de l’arène. En fonction de la bravoure qu’il a montrée, les acclamations du public peuvent être très importantes et la présidence peut demander à ce que l’attelage fasse faire un tour de piste au taureau. C’est une manière de saluer son ennemi, le respect de l’animal étant toujours présent. Si le taureau était vraiment remarquable, il aurait même pu être gracié par la présidence juste avant la mise à mort. Le matador porte alors une estocade symbolique en posant sa main là où l’épée aurait dû pénétrer. Au contraire, il arrive que le matador rate la mise à mort. Personnellement, à ma première corrida le matador a essayé quatre fois de porter l’estocade sans résultat. Il a ensuite essayé de tuer l’animal grâce au couteau planté dans le coup. C’est à la cinquième reprise qu’il y est parvenu. Le public était outré de voir une telle boucherie. Le matador a eu droit à une bronca énorme : sifflets, cris, injures. La corrida n’est pas un lieu de barbarie et le matador est reparti la tête bien basse, honte suprême pour sa condition. Ainsi le taureau peut recevoir les honneurs et le matador être totalement déshonoré.

J’espère que cette description de corrida éclaire mieux la chose dans vos esprits. Je comprends qu’un combat à mort puisse ne pas plaire mais il est totalement injuste de dire qu’il s’agit là de cruauté et de barbarisme. Sachez que les taureaux sont ensuite envoyés dans les restaurants autour de l’arène pour être mangés (la viande que vous avez dans vos assiettes, un jour, était vivante). Sachez aussi que les taureaux qui sont choisi pour la corrida sont sélectionnés sur leur vaillance. Ils ont donc une qualité de vie bien meilleure que leurs congénères destinés à l’abattoir. Ces taureaux sont choyés, respectés et aimés. Peut-être cette dernière constatation, inimaginable sans explication, changera l’idée que vous avez de la corrida. Olé !

3 commentaires:

  1. Pas mal!!Voilà une description bien faite et plutôt objective.je retrouve tout à fait le déroulement d'une corrida.
    Une chose cependant: La pique de rompt pas un tendon. Il est difficile d'imaginer qu'un cou aussi puissament musclé ne soit actionné que par un seul tendon qu'une pique peut rompre. D'aprés ce que l'on m'a expliqué, il s'agit en fait de "châtier" l'animal pour le forcer a ne pas trop lever la tête, là dessus, tu as raison.S'il avait l'impossibilité de le faire, il ne sortirait pas des passes en sautant le museau bien haut.
    En tous cas, cela me fait plaisir de replonger dans cette ambiance si particulière. merci de cet article.

    RépondreSupprimer
  2. On pourrait très bien conserver le "charme" de la corrida sans pour autant tuer le taureau, qu'il ait été vaillant ou pas. Le torero choisit d'être dans l'arène, le taureau non, il y est contre sa volonté.

    RépondreSupprimer
  3. Les corridas sans mise à mort existent, effectivement. Néanmoins elles perdent leur intérêt central : la corrida est un combat à mort ! Le torrero le sait, le taureau aussi. Ce spectacle, tout à fait "animal", c'est vrai, n'appèle que l'instinct du taureau et celui de l'homme. C'est une démonstration de virilité. Je ne pense pas que l'on puisse dire que le taureau n'a pas la volonté de se battre : si c'est le cas, il est retiré de l'arène pour manque de combativité !

    Finalement, le grand paradoxe de la corrida, c'est d'avoir extrêmement codifié, encadré, pétri de symboles, c'est-à-dire civilisé un affrontement qui n'est rien d'autre que de la force sauvage. Un paradoxe qu'il n'est possible d'appréhender qu'avec des explications et en étant face à ce spectacle hors du commun.

    RépondreSupprimer